A propos

L’ŒIL ÉCOUTE

A la croisée de plusieurs registres,
Celui de la photo, prise lors de mes ballades solitaires où marcher n’est qu’un « intensificateur de présence », retravaillées et ciselée comme pour prendre part à l’évolution lente et silencieuse de la nature…
Celui de l’espace, le Bi, emprunté à la tradition taoïste de la Chine que je fréquente depuis presque 20 ans,
Celui aussi de notre  monde industriel où l’acier brut, laminé à chaud, appelle la forme et l’image
Celui encore de la couleur par des glacis superposés et délicats, timides aussi… Afin que rien ne s’impose pour qu’apparaissent les choses d’une nature vibrante et apaisée qui m’environne. Faire du dehors un dedans, intime à moi même et sensible, graphique et vivant.
Faire surgir « l’apparaître » afin que s’offre à nous un surgissement qui nous arrache de l’oubli.
Et comme le dit Paul Klee, « l’art ne peint pas le visible, il rend visible ».

Annie Tremsal

D’où jaillit l’or…

Dans l’espace des tableaux du peintre Annie Tremsal-Garillon, les couleurs se meuvent et nouent un dialogue invisible, mais que l’on pressent.  La séparation entre le monde et l’infini semble conjurée.

Proche de l’énergie et de la beauté de la peinture chinoise, on pénètre dans la toile  or et rouge du peintre comme on entre en méditation.

Au cœur de la verticalité, le peintre révèle l’or, cueilli au plus profond de la pensée, là où coule la source poétique. L’œil suit des grands rythmes qui montent comme un chant dans l’espace coloré pour orchestrer en secret le moindre détail.

Vers ce qui se recueille, l’or est le centre. 

L’art méditatif du peintre Annie Tremsal-Garillon favorise la perception des signes furtifs et éclatants qui approchent « la primordiale Harmonie ». Ces toiles n’auraient pu exister quelques années auparavant, elles sont le fruit du long chemin de maturité de l’artiste. Le peintre est poète, musicien…, il devient arbre pour pouvoir peindre l’arbre, oiseau pour peindre l’oiseau.

A la fois lumière et musique, sa peinture traduit un regard intérieur sur la vérité du monde visible, présente toute entière en chaque être, un langage universel qui unit Orient et Occident.

« Pour le regard qui sait voir, tout est musique, tout est chant », écrit François CHENG.

Aller simplement à l’essentiel pour qu’il devienne évidence aux yeux de tous, telle est la voie qu’Annie Tremsal-Garillon a choisie. Par le rythme secret d’une blancheur lovée dans la toile entre deux couleurs jaillissantes, elle renonce à montrer « le plein » pour mieux faire exister « le vide ». Dans un geste humble, elle se soumet à la beauté de la matière et du désir, de la couleur et de l’esprit, pour enfin laisser la peinture « être ».

Devant cette puissance visuelle intense et subtile, nous cherchons le secours des idées, nous invoquons le sacré… Mais le tableau « est ce qu’il est », il nous impose son mystère et nous y tient en respect, en recueillement.

Anne BRANDEBOURG – critique d’art –

Une démarche humaine et picturale à méditer

Chacune des œuvres d’Annie Tremsal Garillon vibre de sa vie propre et puissante, délivrant une énergie et une émotion à qui prend le temps de contempler. Fuyant l’anecdotique et le décoratif, l’artiste poursuit sa quête dans de grandes toiles inspirées, au ton incisif et aux mouvements puissants, dont la dimension spirituelle est le souffle.

« Pas d’âme sans corps, pas d’esprit sans matière » chez l’être authentique dont la main « transmet sur la toile ce qui la traverse » et où l’usage des outils picturaux obéit avant tout à une nécessité intérieure. Pigments et or, fluidité, transparences, épaisseurs, coloris forts ou délicats, construisent ici les élans continus et maîtrisés d’une figuration de réalités abstraites.

L’architecture des tableaux d’Annie Tremsal Garillon est soutenue par les lignes de force telluriques d’une vie intériorisée, affleurant sur la toile comme une respiration.

Musique indicible d’un mouvement exigeant qui enveloppe, ouvre et interroge avec autant de rugosité que de douceur – le blanc – « l’art nu » – lieu sacré et mystérieux où l’artiste convie notre regard.

Anne BRANDEBOURG
Critique d’art

L’ESPACE D’UNE FAILLE

La Petite Galerie de Granges sur Vologne accueillait en mai 2017 la Plasticienne Annie Tremsal pour son travail, L’espace d’une faille, fruit d’une collaboration avec le poète Jacques Pierre[1]. Produits de cette coopération : un livre d’artiste[2] et une série d’une trentaine d’œuvres peintes sur toile, sur papier Velin d’Arches.

            Annie Tremsal se présente comme une artiste transversale, entendez une artiste qui va au-delà ou par-delà, qui traverse de part en part l’espace et le temps. Autant dire que le mouvement qui anime ses pinceaux, outils de quelque chose en devenir, est celui de la transformation.

            Familière de la sagesse chinoise autant que de l’œuvre du philosophe et sinologue François Jullien (en particulier, Les transformations silencieuses, Grasset, 2009) l’artiste dit n’avoir pas voulu se laisser enfermer dans les mots du poète tout en s’en emparant pour explorer l’implicite à l’œuvre dans ses textes.           

   « Il m’a fallu chopper le rythme de ce qui était non-dit, explique-t-elle (…), j’ai dû me délester du trop, des images trop narratives. J’ai tenté de dire par la peinture ce qu’on ne peut pas dire. Une œuvre réussie retourne au silence ».

    Elle réaffirme ainsi la mission de l’artiste : permettre de rendre présent ce qui est absent, avoir accès à ce que le langage ne peut dire, déployer l’énonciation qui circule sous l’énoncé.

   Une œuvre réussie n’est pas bavarde ; pour ce faire, il lui faut s’affranchir de la ressemblance, déconstruire le perçu comme la conformité du motif. La coïncidence avec le réel est un impossible, l’adéquation dans la représentation n’est pas la vérité, toujours impossible à dire toute.

La peinture d’Annie Tremsal se tient hors de ce qui remplit et sature, hors de la satisfaction et du confort de la conformité. En parcourant l’espace d’une faille, elle nous invite à saisir quelque chose de cet infime perceptible qui, dans l’entre et dans l’écart, peut se faire voir, entendre, sentir. Là, peut prendre corps une existence.           

La trentaine de toiles accrochées donne à voir une mise en série des interprétations de l’espace d’une faille. Ce qui s’offre à nos yeux n’est pas une déclinaison des différentes significations que ce mot évoque mais un travail de transformation au cœur duquel opèrent des transitions constituant, moins des séparations ou des fractures ou des coupures discernables, que des moments où se trouvent indissociablement liés modification et continuation. François Jullien rappelle que ce mouvement est ce que les taoïstes nomment tao : « La transition est par excellence ce qui nous retient de dire jusqu’où va telle propriété ou qualité, où commence l’autre ».

Les failles d’Annie Tremsal constituent une voie où le spectateur est confronté à ce qui n’est pas caractérisable : une transformation opère en silence et, « tout en nous maintenant au sein du phénoménal et du sensible, elle nous conduit au bord de leur effacement ».

L’artiste peint avec, dans l’oreille, le tempo imprimé par Jacques Pierre :

             Dans cette atmosphère aux frontières imprécises, gisent, écrit le poète, des pierres lissées, délestées des ornements qui portent à nu les veinures profondes de leurs origines. Personne ne les entend, elles qui ne parlent ni ne pensent. Cette réalité est en perpétuel devenir, elle « se fait ou se défait, écrit Bergson, mais n’est jamais quelque chose de fait ».             

            C’est en vain qu’on cherchera dans ces toiles la faille qui sépare, qui oppose, qui tranche.  Point ici de fissure repérable, point de frontières  qui viendraient délimiter un ensemble  ou clôturer un espace. D’un tableau à l’autre, l’espace d’une faille est en perpétuel devenir : plutôt que d’être, la faille se meut et ne demeure jamais ce qu’elle est. Elle est multiple, pluriel ; on songe à l’adage affirmant qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.           

            C’est donc une œuvre en action que cette exposition et ce livre d’artiste présentent, une œuvre en prise sur un présent entrain de se faire et qu’Annie Tremsal construit lors de ses séjours en Chine.

   On peut se demander si ces séjours n’ouvrent pas, comme l’écrit François Jullien, « une brèche dans la normalité acquise (normalité stérilisante) en osant un écart » ? En allant à la rencontre des maîtres chinois, Annie Tremsal opère un détour par un dehors : peut-être est-ce ainsi qu’elle « de coïncide » et qu’elle dérange la sorte d’homéostasie que pourrait produire les propos louangeurs de celles et ceux qui aiment son travail ? En somme, une façon d’être décomplétée ?             

             Le pinceau d’Annie Tremsal balaie le Vélin d’Arches l’espace d’un moment ; il laisse la trace d’une existence dans laquelle, écrit Jacques Pierre, égaré, tu lances aux filées d’arbres des phrases nues pour te rassurer, t’assurer d’exister encore.

            Si le langage du poète fixe des limites et construit un espace où les aplats de peinture trouvent à se loger,  il outrepasse simultanément ces limites et va, là où, au-delà des apparences, sont réconciliés le relief et le creux, l’ombre et sa propre ombre, l’air et l’acier.

            L’espace d’une faille ne possède pas d’identité finie et de devenir limité ; il est ce « pur devenir » dont Gilles Deleuze brosse la caractéristique dans sa Logique du sens : il laisse se côtoyer plusieurs sens en même temps, il n’impose pas de délimitations nettes, de démarcations définitives entre les objets qui s’offrent à notre regard.

            Annie Tremsal  explore l’espace d’une faille comme d’autres avant elle ont, par exemple, exploré le cri. Elle va, non pas contre ce qui existe mais vers ce qui n’existe pas encore.

            Grâce à la peinture, il devient alors possible de postuler l’existence de quelque chose qui n’a pas encore d’existence  et de s’exclamer avec Tung Ch’i, cité par François Cheng (Souffle-Esprit) : « Que de merveilles peuvent naître d’une simple touffe de poils de quelques centimètres ! »

Jean Mirguet – Psychanalyste

5 février 2018

 

 

[1] Les poèmes de Jacques Pierre sont extraits du recueil Chemins Perdus, éditions Aspect.

[2] Annie Tremsal, Jacques Pierre, L’espace d’une faille, livre autoédité, 2017.

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